« L’écologie sans lutte des classes c’est du jardinage » – Chico Mendes

Ce projet s’appuie sur une réflexion universitaire de réappropriation des lieux publics afin de valoriser les communs. Nous avons ainsi réfléchi à ce que beaucoup de lieux publics pouvaient partager et dans une moindre mesure ce que nous pouvons souligner pour se diriger vers une valorisation des communs. À l’origine de cette réflexion intervient la question du sociologue français Bruno Latour. Avec des questions de dépendance, d’alliance et d’ennemi ainsi que la nécessité d’un point de départ, notre réflexion s’est construite autour de ces dernières pour alimenter la problématique de l’écologie à Poitiers. L’écologie au sens propre du terme nous amène à la science de l’habitat, ou autrement dit la science de notre habitat, l’environnement. Nous avons choisi de nous concentrer sur l’accès à cet environnement, un environnement qui devrait être partagé et habité par tous et toutes. Un lieu commun et public que nous investissons au quotidien.
Mais est-ce réellement un lieu commun dans son ensemble ? Pouvons-nous réellement affirmer que tous et toutes avons un même accès à ce même environnement et un accès également à la façon dont nous investissons ce lieu ? Nous souhaitons alors proposer cette réflexion sur l’accès à l’environnement de la ville de Poitiers et plus précisément en se concentrant sur le rapport entre classes sociales et écologie à Poitiers. Une réflexion qui permettra ainsi de peut-être réinvestir cet espace de manière plus juste.
Ce travail s’est appuyé sur les travaux universitaires de Malcom Ferdinand qui dénoncent les prétentions d’universalité de la pensée environnementale et cherche à faire remonter à la surface les fondations coloniales, patriarcales et bourgeoises de cette pensée environnementale à travers son livre Une Écologie Décoloniale aux éditions du Seuil Anthropocène.

- Qu’est-ce-que l’écologie au sens « large » ?
Si on s’en tient à la définition du Larousse, l’écologie est une « science ayant pour objet les relations des êtres vivants (animaux, végétaux, micro-organismes) avec leur environnement, ainsi qu’avec les autres êtres vivants. ». À partir de cela, c’est également devenu un mouvement de pensée – appelé écologisme -, dont l’idée principale est d’intégrer les enjeux environnementaux à l’organisation sociale, économique, politique et culturelle de la société.
L’idée derrière cela est la mise en place d’un nouveau modèle de développement plus conscient de l’environnement et basé sur une transformation du rapport entre activité humaine et le maintien de l’écosystème.
L’écologie telle qu’on la connaît et telle qu’on la pratique en France s’est embourgeoisée. Il s’agit là d’un problème d’accessibilité, tant dans l’éducation (scolaire et/ou familiale) que dans l’organisation urbaine et le coût économique. On omet souvent le caractère historique du développement sociétal. On oublie la différence d’avancée et de capacité géographique et géopolitique à travers les cultures.
Si aujourd’hui en France, le mouvement écologique est pleinement reconnu et que la transition écologique est au cœur des débats, on parle peu des divergences d’accès en fonction de l’urbanisme. Si on s’écarte de l’hyper-centre on remarque systématiquement des différences d’organisations et de traitements des espaces verts en fonction des quartiers.
« La vie actuelle, le monde actuel est d’une étroitesse ! Ce n’est pas seulement sa facilité, c’est sa banalité, c’est sa médiocrité, c’est sa pénurie des émotions intenses, moi, qui me gêne, dans le monde actuel. » Françoise d’Eaubonne, « Apostrophes », Antenne 2, 5 mai 1978
Françoise d’Eaubonne écrivait dans son livre Écologie et Féminisme : « À la base du problème écologique se trouvent les structures d’un certain pouvoir. ». Si l’autrice parle ici surtout du rapport entre oppressions sexistes et capitalistes, on peut aussi faire le lien avec l’écologie décoloniale.
- Qu’est-ce-que l’écologie décoloniale et la notion de fracture environnementale ?
Dans les travaux de Malcom Ferdinand, on trouve une pensée environnementale qui s’est construite en partie sur l’occultation de nombreuses disparités socio-spatiales et d’appartenance à des groupes sociaux et ethniques. Malcom Ferdinand rappelle dans le constat d’une écologie blanche et bourgeoise qu’en France :
“Les personnes racisées issue de l’immigration coloniale et post-coloniale qui ramassent les ordures de la ville, conduisent les transports en commun, servent les repas, l’accueil souriant dans les bâtiments, etc. sont absentes des arènes universitaires, gouvernementales et non gouvernementales soucieuses de l’environnement” Malcom Ferdinand, Une Écologie Décoloniale, Seuil Anthropocène, 2019.
Il évoque le concept de fracture environnementale qui découle du grand partage de la modernité (l’opposition nature/culture) et qui se traduit par une échelle verticale plaçant l’humain au-dessus de l’environnement. Mais l’homogénéisation horizontale de l’humain cache en réalité des hiérarchisations internes telles que les systèmes de domination coloniaux qui ne sont pas pris en compte dans l’étude de l’anthropocène et des solutions écologiques envisagées.
Cette fracture est soit complètement occultée derrière l’argument que les personnes racisées ne se soucient pas de l’environnement, soit cantonnée à un sujet annexe au véritable objet de l’écologie qui serait la science ayant pour objet les relations des êtres vivants avec leur environnement, ainsi qu’avec les autres êtres vivants.
Ainsi, en partant de ce constat de l’existence d’une écologie sans prise en compte des systèmes de domination passés et présents – que nous appellerons plutôt de l’environnementalisme – nous cherchons à comprendre si des logiques similaires bien que plus élargies et centrées sur les particularités géo-spatiales et socio spatiales de la ville, peuvent s’appliquer à l’écologie pensée et mise en place à Poitiers.
- Qu’est-ce-qu’une écologie décoloniale au niveau de Poitiers ?
À Poitiers, comme dans de nombreuses villes de France à la structure médiévale, on retrouve une dichotomie très claire et marquée entre un centre-ville historique, où la nature est accessible et entretenue, les paysages sont beaux, et une périphérie abritant des immeubles nouveaux et des bâtiments récents, ou s’entassent celles et ceux qui n’ont pas les moyens financiers pour habiter dans le centre. C’est en 1960 que la ville de Poitiers décide de la construction de ce quartier. D’après l’article “Un grand ensemble : La Z.U.P des Couronneries de Poitiers” écrit par J. Robert en 1970, le plan-masse de ce quartier fut pensé et aménagé par des architectes parisiens suivant les plans-masse des expansions urbaines de l’époque.
Dans ce compte rendu complet sur la création de ce quartier aujourd’hui emblématique de la ville, il n’est fait référence qu’une seule fois aux espaces verts prévus, et ceux-ci ne concernent que les “espaces verts autour des immeubles”. L’accès aux espaces verts et à l’écologie est donc ici soumise à un certain capital financier, qui nous rappelle la gentrification. Certes, Poitiers n’est pas l’unique et seule ville de France s’étant développée selon une géographie sociale très marquée (un centre-ville riche et des périphéries plus modestes), cependant rien n’a encore été fait pour rétablir un accès plus équitable à la nature et aux espaces verts dans la ville de Poitiers.
ZUP des Couronneries de Poitiers
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Bords du Clain, centre-ville de Poitiers
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- Pourquoi reprendre les dénominations de la ville de Poitiers ?
Notre projet est d’analyser les inégalités d’accès à l’écologie dans la ville de Poitiers en se basant sur une analyse socio-spatiale du territoire.
La découpe des différents quartiers de Poitiers, déterminée par la mairie de la ville, est en elle-même un parti pris, et notamment une manière de séparer de manière physique les différentes classes sociales qui y coexistent. Or, cette carte établit clairement deux Poitiers : un hyper-centre, et une périphérie. Si ce constat n’est pas problématique en lui-même, il convient néanmoins de se poser les questions de qui est à l’origine de cette répartition géographique, et dans quel but.
Nous ne sommes pas spécialistes des études socio-spatiales, et de nombreux autres chercheureuses ont d’ors-et-déjà pu développer sur pourquoi les plus précaires étaient sur-représentées dans les périphéries, alors que les centres historiques étaient majoritairement habités par les classes sociales les plus hautes.
Bien que la ville de Poitiers soit labélisée de 4 fleurs depuis 2019, il est facilement observable que la présence d’espaces naturels est sensiblement différente d’un quartier à l’autre. Depuis 2020, la mairie de Poitiers est sous la direction du Parti Écologiste, il est donc légitime de s’interroger sur la portée de l’écologie dans la vie de toutes et tous.
Pour cela, nous souhaiterions analyser si chaque pictavien.ne a un accès similaire aux espaces verts.
Nous avons ainsi développé une sorte de barème qui nous permettra ensuite d’attribuer une note à chaque quartier Poitevin, un peu sur le modèle du nutri score que l’on peut retrouver depuis peu sur les produits du quotidien, et qui évalue, lui aussi en fonction d’un barème établi, la qualité nutritionnelle des aliments de tous les jours.
Mais avant de vous expliquer ce barème ainsi que son utilisation, nous aimerions développer avec vous quelques définitions.
- Quartiers de Poitiers :
La ville de Poitiers est ainsi répartie et divisée en onze quartiers différents, de tailles hétérogènes. Nous avons choisi de reprendre la division du territoire telle qu’elle a été établie par la mairie, car nous pensons qu’elle est essentielle afin d’analyser la répartition d’accès aux espaces verts. En effet, si l’accès est différent d’un quartier à l’autre, ce n’est pas anodin, et cela ne peut pas être étudié sans reprendre l’origine de ces inégalités : cette séparation définie du territoire poitevin.
- Espaces verts :
Vous l’aurez compris, ce projet établit les inégalités d’accès aux espaces verts sur le territoire poitevin. Or, l’un des problèmes que nous avons rencontré était de définir ce que signifiait “espaces verts” pour nous. En effet, il n’était pas question ici de parler d’espaces naturels, comme le fait par exemple Malcom Ferdinand, du fait de l’urbanisme de la ville. Il n’était pas non plus envisageable de qualifier d’espaces verts les pelouses parcourant ça et là Poitiers.
Pour nous mettre au clair sur la bonne définition à adopter, nous avons donc décidé de nous appuyer encore une fois sur la définition donnée par la mairie de Poitiers.
L’arrêté du maire datant de décembre 2019 à propos de la sécurité des espaces verts de Poitiers définit les espaces verts comme tel :

- Comment remédier à cela ? Le biodiscore, théorie et pratique
Accès aux espaces verts publics :
- Se définit par la distance à laquelle les espaces verts dits publics se trouvent des habitations dans les différents quartiers. S’ajoute à cela les conditions d’accès : s’ il y a des horaires, si ils sont accessibles aux personnes à mobilité réduite, familles nombreuses etc.
Desservi par les transports en commun :
- En lien avec le point précédent, savoir si ces mêmes espaces sont accessibles à l’aide des transports en commun. Si l’on peut s’y rendre aisément et que des arrêts de bus, ou des parcs à vélo se trouvent à proximité. De plus, vérifier si des pistes cyclables y mènent et dans quelles conditions elles sont.
Infrastructures et entretien des espaces verts :
- Dépend de la régularité et de la qualité de l’entretien des espaces par les agents et les agentes de la ville (ramassage des déchets, entretiens des sols et de la végétation). Présence d’infrastructures variées et adaptées aux différents publics.
Actions de sensibilisation :
- Revalorisation du rapport à notre environnement par des ateliers pédagogiques de sensibilisation financés par la ville. Création et entretien d’un jardin/potager au sein de toutes les écoles, compostage, excursion sur des sites protégés, rencontre avec des acteur·ice·s locaux·les.
Présence de jardins privés :
- Présence d’espace verts au-delà des espaces communs.
Possibilité d’initiatives citoyennes en faveur de l’environnement :
- Facilité pour les citoyen·ne·s d’organiser des actions spontanées pour agir concrètement sur la préservation de l’environnement local (ex. ramassage collectif de déchets dans le quartier et mise à disposition de poubelles et d’équipements de nettoyage).