STERILITE GENERALISEE

STERILITE GENERALISEE

« On verra bientôt que d’oser vivre, ce n’est pas la fin du monde. Juste la fin d’un monde.« 

-René Lévesque

Comment pourrions-nous oser vivre en ayant conscience que nous sommes peut-être la dernière génération ? Qu’est-ce qu' »oser vivre » quand tout autour de nous semble obsolète ?

Bienvenue dans notre valise,

Nous l’avons préparée spécialement pour vous. Lorsque vous la découvrirez, nous ne serons plus de ce monde. Et nous espérons fortement que le monde tel que nous l’avons connu mourra avec nous. Notre disparition imminente nous a poussés à vous laisser notre héritage : l’histoire du monde qui meurt. Pour que notre fin ne soit pas vaine, nous vous demandons de lire notre histoire et surtout, de ne pas la reproduire. Pour vous prémunir contre l’avènement d’une catastrophe similaire, nous vous proposons nos conseils, sous forme de lectures. Les livres que nous vous laissons vous permettront de créer un monde meilleur que celui que nous avons quitté et de ne pas (re)tomber dans nos travers.

Dans notre monde actuel, la reproduction n’est plus possible. La majorité de notre population ne pourra plus jamais avoir d’enfant. L’utilisation accrue des pesticides depuis les révolutions industrielles a terni la qualité de nos produits alimentaires. La sédentarisation, l’industrialisation et la surconsommation ont induit des modifications profondes de nos modes de vie et de nos corps.

Ces modifications n’ont pas été soudaines. Elles se sont développées au cours du temps mais, chaque fois, elles étaient passées sous silence, ignorées. Leurs origines étaient niées, remplacées par une culpabilité individuelle. Au début du XXIe siècle, l’augmentation du taux d’obésité aurait déjà pu nous alarmer sur les méfaits que notre consommation et notre production représentaient. Seulement, tout était mis en place dans nos sociétés pour que nous considérions le problème dans son individualité. En France, par exemple, en 2021, on nous affirmait que près d’une personne sur deux était en surpoids. Le 13 octobre de la même année on pouvait découvrir, dans le journal Le Monde, un article nommé « Obésité : l’activité physique recommandée pour la santé ». Le message était clair, et toujours identique : si vous êtes en surpoids, c’est de votre faute; faites un effort. Le capitalisme, en individualisant les problèmes physiques de chacun, a effacé la responsabilité de la société de consommation pour la remplacer par une culpabilisation des individus. Le lien entre obésité et capitalisme était entièrement annihilé. Nos sociétés ont nié l’impact des systèmes de production sur nos corps. Les problèmes qui ont suivi, l’augmentation des malformations infantiles puis l’accroissement de la stérilité, ont subi le même processus de négation. Personne n’aurait pu soupçonner -ou personne n’osait soupçonner- que la démultiplication des cas de femmes touchées par l’endométriose ou par le syndrome des ovaires polykystiques étaient causés par le fonctionnement de nos sociétés. Personne n’aurait pu soupçonner que la diminution de la fertilité chez les hommes était liée à nos modes de consommation.

Pourtant la stérilité concerne aujourd’hui près de 90% des individus. La quasi-totalité de la population est vouée à disparaître sans assurer sa descendance. Si l’existence humaine ne se meurt pas totalement, c’est grâce aux 10% qui ont fuit nos systèmes avant qu’il ne soit trop tard. Depuis 2048, ces individus sont nommés « les déviants ». Ils sont apparus à la suite des manifestations de 2048. A l’époque, une étude sur l’augmentation de la stérilité avait fait scandale. Les statistiques affichaient une diminution de la fertilité qui concernait 60% de la population mondiale. Ces informations ont eu un effet coup-de-poing. Des manifestations ont été organisées aux quatre coins du globe pour dénoncer l’impact de nos systèmes d’ultra consommation sur nos vies. C’est par l’occupation de grandes chaînes de restauration rapide, telles que McDonalds, Starbucks ou encore KFC, que les manifestants ont exprimé leur prise de conscience. En occupant pendant plusieurs semaines ces lieux phares du capitalisme, et en sabotant leur fonctionnement pendant plusieurs mois, les citoyens ont montré qu’ils connaissaient l’impact de la nourriture sur leur corps. Seulement, les pouvoirs publics ont rapidement réagis, fragilisés par ces mouvements de masse. Ils ont arrêté un grand nombre de manifestants pour « trouble à l’ordre public ». Par la suite, les médias ont rapidement véhiculé des messages railleurs, décrédibilisant les actes citoyens. Alors le mouvement a perdu de son ampleur et a fini par s’éteindre. Une fois encore, la culpabilisation a été reposée sur les individus. Ceux qui n’avaient jamais manifesté sont retournés boire leurs cafés chez Starbucks; ceux qui avaient manifesté sont rentrés, et ont fini par oublier. Seuls ceux qui ont été qualifiés de « déviants » ont emprunté un autre chemin. Refusant de retrouver leur vie d’avant, les déviants ont décidé de repenser leur rapport au monde en formant des micro-sociétés isolées. Ils se sont installés dans des espaces inhabités, notamment dans « la diagonale du vide » en France. Leur but était de développer des circuit-courts et une société détachée de la frénésie du gain et de l’avoir. Inquiets que ces nouveaux modes de vies ne séduisent les populations et compromettent le capitalisme, les pouvoirs publics ont rapidement discrédité ces mouvements afin de s’en protéger. C’est à ce moment-là que le terme « déviant » est apparu pour les qualifier. Définis, par le Centre National de Ressources Textuelle et Lexicales, comme des « personnes qui, par leur comportement, ou leur attitude, s’écartent de la norme du groupe social », les déviants sont devenus les « parias » de nos sociétés. Aujourd’hui, en 2058, ce sont pourtant les seuls qui ne sont pas touchés par le phénomène généralisé de stérilité. Aujourd’hui, ils sont notre seul espoir.

Nous regrettons amèrement de ne pas avoir suivi ces déviants et de nous être laissés influencer par les pouvoirs publics. C’est donc pour les derniers stériles qui doivent se reconstruire, pour vous déviants et vos enfants qui représentent notre avenir, que nous avons mis de côté cette valise. Nous vous avons sélectionné quelques livres qui vous permettront de découvrir ce que la stérilité nous a appris. Nous y laissons des ouvrages qui vous encourageront à repenser votre sexualité et vos rapports au corps, pour que le plaisir redevienne l’essentiel des rapports humains. Nous vous léguons des livres témoins du choix que doit toujours représenter la parentalité. Nous vous laissons des réflexions et des critiques sur le système qui nous a tué en vous proposant des alternatives écologiques pour une prise de conscience profonde. Et surtout, nous vous laissons nos livres espoirs pour qu’ils vous accompagnent dans la création de votre futur. A nos camarades stériles : utilisez ces ouvrages pour repenser vos modes de vie autour du plaisir et du respect de la terre. A vous déviants admirés, qui avez la lourde tâche de réparer nos erreurs : ne doutez jamais du choix que vous avez fait. C’est votre engagement qui nous permettra de faire un monde meilleur.


Nous allons à présent vous faire la présentation des différents thèmes que nous souhaitons que vous abordiez personnellement, mais aussi collectivement. Lisez, discutez, interrogez-vous, lisez à nouveau, soyez d’accord ou ne le soyez pas, mais par-dessus tout, interrogez-vous à propos des problématiques de ces catégories. Vous devez également savoir que chaque catégorie a son importance, mais également qu’elles se complètent. Les livres au sein de chaque catégorie sont classés dans un ordre choisi volontairement pour faciliter au mieux la compréhension.

PARENTALITE

La catégorie parentalité vise à faire évoluer l’idée que nous nous faisions d’être parent. Les livres choisis pour cette catégorie ont deux buts. Il servent d’une part pour les personnes stériles qui doivent vivre sans prétendre à une quelconque descendance. En effet, c’est vivre tout en acceptant que l’on est le dernier de sa lignée. Les livres ont donc d’abord une portée relativisante par rapport au fait de repenser la parentalité, mais aussi l’idée de famille qu’il y a derrière. De plus, même si dans les livres, le fait de ne pas avoir de descendance était un choix, ils aident à comprendre qu’il est possible de vivre sans aspirer à avoir des enfants. D’un autre côté, cette catégorie sera utile aux déviants, dans la mesure où ils ne doivent pas avoir le poids de se reproduire pour “repeupler” la planète. Même si ces derniers ne sont pas stériles, le choix d’être parent doit se faire rationnellement et sans une influence extérieure au cercle parental. C’est donc d’abord l’émergence d’un monde voué à la fin de la parentalité que nous connaissons depuis toujours, mais c’est également repenser la notion de parentalité malgré la fertilité.


SEXUALITE

Cette catégorie sera tout d’abord complémentaire à la catégorie de la parentalité, car ce sont deux notions que nous avons tendance à associer, voire à confondre. Les livres présentés seront donc utiles aux personnes stériles qui n’auront le choix que de vivre malgré la fin. Étant donné que ces personnes ne pourront plus avoir d’enfants, la sexualité ne sera plus liée à la parentalité et cette dernière aura pour simple but de prendre du plaisir tout en repensant le rapport à nos corps. D’un autre côté, elle sera utile à toutes les personnes fertiles, qu’elles veuillent des enfants ou non, car ces livres mettent au premier plan la notion de plaisir entre des individus, sans l’associer directement à la reproduction.

Dans cette catégorie, nous vous proposons deux ouvrages qui se complètent et abordent la sexualité sous l’angle du plaisir. Le premier, plus ancien, vous apprendra une certaine philosophie de la sexualité en abordant plusieurs thèmes. Le second, plus récent, vous présentera  une « cartographie du plaisir » tout en déconstruisant les tabous, et les notions de genres. Vous y trouverez des réponses à vos interrogations, et des manières de repenser votre sexualité loin des préjugés et proche du plaisir. 


ECOLOGIE

La catégorie “écologie” met l’accent sur un nouveau rapport au vivant. Les livres que nous avons choisi repensent le rapport humain à la nature. C’est promouvoir l’apprentissage d’un mode de vie qui ne soit destructeur ni pour les humain, l’environnement ou les animaux. Pour les personnes infertiles, ne pouvant donc assurer une quelconque descendance, cette valise pourra leur servir pour leur donner le choix de laisser un monde meilleur derrière eux, malgré tout. Le monde dans lequel nous vivions a réussi à nous rendre infertiles ; c’est pourquoi ce monde que nous nous étions créé mais qui, surtout,nous a poussé à notre perte, doit être repensé.


COMMUNAUTE

La catégorie Communauté, quant à elle, vise à élaborer un tout autre mode de production auquel nous sommes habitués. Il s’agit de sortir de cette course à la croissance, à la production qui consiste à vouloir, créer et consommer toujours plus. Cette catégorie est en lien avec celle sur l’écologie puisque si repenser ses besoins profonds est nécessaire, la production massive est également un frein pour l’écologie et nocive pour la nature. Ce système a également été la source de la stérilité générale qui guide notre bibliothèque de fin du monde, il faut donc y remédier. Pour ce faire, nous avons axé notre travail sur Le temps de la décroissance et Permaculture 1. Ces ouvrages ont pour ambition principale de donner une voix à un mode de production déjà existant bien que refoulé au profit d’une croissance et production toujours plus massive. Ces livres prônent ainsi une production plus raisonnée, davantage écologique donc mais suffisante pour subvenir à nos besoins et repenser notre rapport à la nature. Ce système et ces valeurs promus permettront aussi de prouver aux prochaines générations sa viabilité et de les inciter à les transmettre aux futurs communautés.


CABANE

La catégorie cabane regroupe nos livres personnels, ceux que nous souhaitons apporter, d’une part, dans l’optique de pouvoir encore rêver notamment avec Les milles et une nuit. C’est aussi l’occasion de relativiser sur notre monde, de lire comme moyen privilégié pour s’échapper de la réalité, prendre du recul sur celle-ci à travers l’ouvrage de Grimaldi. Le journal intime proposé dans cette catégorie est également utilisé pour partager un quotidien, des états d’âmes ainsi que bâtir un futur sous une plume. La catégorie cabane apporte en fait un peu de légèreté et d’humanité dans une situation post-apocalyptique.


En somme, nous espérons vous avoir apporté quelques outils de réflexion, afin de vous proposer une base sur laquelle construire un nouveau monde meilleur. Nous aspirons à ce que cette valise vous aide à changer votre conception du monde qui nécessite des changements au vu des catastrophes engendrées par notre activité humaine égoïste. 

Malheureusement, nous sommes loin d’avoir pu être exhaustives dans la création de cette valise, il y a tant de choses qui mériteraient d’être abordées en plus pour sauver notre monde en plein bouleversement. Nous pensons notamment au thème de l’écoféminisme qui s’inscrit totalement dans notre univers puisque son objectif est de mettre en place un nouveau rapport au monde et de se débarrasser de la domination de l’homme sur la femme, autant que celle des humains sur la nature. Cette idée permettrait d’introduire un nouveau mode de vie dans lequel le respect de l’autre (femme et environnement) et l’égalité seraient établis.  Dans la continuité de la réflexion sur un monde en reconstruction dans lequel nous devons repenser nos rapports entre individus, nous pensons aux animaux auxquels nous n’avons pas pu accorder une catégorie. Puisque les valeurs d’éco-féminisme incluent un nouveau rapport entre l’être humain et la nature, il est évident que nous devons également nous éloigner de la domination de l’humain sur les animaux, et les considérer comme des individus à part entière. Après l’ethnocentrisme, il faut repasser au biocentrisme et supprimer la hiérarchie morale entre les espèces vivantes. 

Grâce à ce qu’a pu apporter cette bibliothèque aux individus de notre monde, nous pouvons supposer un certain avenir à notre civilisation menacée d’une stérilité généralisée. Les différentes catégories de livres assemblées entre elles devraient inspirer une révolution des mœurs de notre nouvelle société. La parentalité et la sexualité seraient totalement repensées de façon à ce qu’avoir un enfant ne soit plus une pression et que la sexualité soit d’abord une question de satisfaction, et non plus de reproduction. Grâce aux parties écologie et communauté, les individus auraient les clés pour se retrouver en adéquation avec la nature et repenser leurs économies à une échelle plus durable pour tous. Par ce mode de vie plus sain et respectueux de l’environnement, l’épidémie de stérilité serait alors vaincue et la fertilité referait son apparition au fil des années. Le but est que les individus restent sur un modèle de communautés locales afin d’éviter de reproduire les erreurs du passé induites par de trop grands caprices. La fin du monde mondialisé, capitaliste et  nocif pour la diversité (humains inclus), permettra globalement l’ébauche d’un nouveau monde meilleur pour la santé de toutes les espèces vivantes selon les idéologies de notre bibliothèque . 

Quant à nous, créatrices de la bibliothèque, ce travail nous a donné plein d’idées, de rêves, d’envie de révolte dans la tête. Nous ne souhaitons plus être partisanes de ce monde qui détruit à petit feu l’environnement et la diversité si riche qui nous entoure. Nous voyons désormais certaines normes de notre société sous une autre perspective et nous posons des questions sur la légitimité des doctrines qui rythment notre vie actuellement. Finalement, peut-être que cette fin du monde était souhaitable…



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