Dossier : Le corps militant, la lutte pour le corps (2/3)

Dossier : Le corps militant, la lutte pour le corps (2/3)

Cet article est le second d’une série portant sur le corps militant, nous avons précédemment discuté de la définition du militantisme et de la réappropriation de son corps. Vous pouvez retrouver l’article correspondant : Le corps militant, se réapproprier son corps (1/3)

Le corps militant, s’il peut passer par la réappropriation de son corps, peut également lutter pour le corps, autrement dit pour des enjeux liés qui y sont liés comme la santé ou les normes de genre.

Lutter pour se libérer des normes de genre

Nous allons parler principalement de la communauté trans, qui regroupe des personnes qui ne sont pas en adéquation avec le genre qu’il leur a été assigné à la naissance ; ils ont donc un besoin de se réapproprier leurs corps.

La communauté trans, malgré son acceptation grandissante dans la société, subit encore beaucoup de discriminations et notamment dans le domaine médical. On constate par exemple que même si l’OMS a retiré la transidentité de la liste des troubles mentaux depuis juin 2018, l’accès à des soins médicaux qualitatifs restent compliqué puisque déjà les études de médecine n’incluent pas la dysphorie de genre. C’est pourquoi la majorité des médecins reçoivent des formations sur le tard, par les équipes déjà en place ; ce sont donc souvent des formations incomplètes et inadaptées. De plus il y a très peu de soignants spécialisés donc les listes d’attentes pour les hormonothérapies sont vraiment très longues, rendant la procédure encore plus périlleuse.

Il y a également le problème de la prise en charge psychiatrique des personnes trans, qui est très controversée. La psychiatrie garde en effet une place importante dans le processus de transition des personnes transgenres puisque quand la transition se fait en milieu hospitalier, elle débute automatiquement par une évaluation psychiatrique de la dysphorie de genre. Ensuite il y a un passage devant une commission pluridisciplinaire composée d’un psychiatre, d’un endocrinologue (médecin qui régule les hormones dans le corps) et d’un chirurgien. C’est donc à la fois un processus qui est long et éprouvant psychologiquement. Selon un grand nombre d’associations LBGTQIA+ la psychiatrisation constitue une violence et fragilise la personne voulant changer de sexe car elle doit constamment justifier son identité comme si elle pouvait ne pas être légitime dans sa démarche.

Dans le manifeste trans’, rédigé par Jihan Ferjani et Lalla Kowska, les deux autrices expliquent que les mouvements trans’ ont tout le temps été associé aux mouvement gay et lesbiens et aujourd’hui, même si ces mouvements manquent encore de relais politiques et sont confrontés à des hostilités, leurs revendications sont relativement connues et/ou reconnues alors que celles des trans ne le sont pas. Par exemple, comme l’affirme toujours le manifeste, la loi qui condamne les propos sexistes et homophobes a « oublié » de mentionner les personnes transgenres.

Jihan Ferjani et Lalla Kowska expriment donc les revendications des transgenres telles que la dépsychiatrisation des transsexuels, un changement d’état civil facilité, qu’il y ait changement de sexe ou non, et un accès plus facile aux soins avec une prise en charge adaptée. Elles rappellent enfin que la transphobie concerne toute la population parce qu’elle ramène à « l’oppression du pouvoir politique sur les corps de tous » ; en référence à la binarité oppressante et qui conditionne toute la société. 

Il y a également la question des intersexes, qui sont des personnes dont les caractéristiques sexuelles ne correspondent pas aux définitions normatives du féminin et du masculin. La question intersexe a toujours été abordé de façon pathologisante et malgré leur présence dans de nombreux collectifs et associations LGBTQIA+ iels sont très souvent minoritaires et donc invisibilisés. Mais c’est surtout la médecine qui participe à cette invisibilisation de l’intersexualité parce que la plupart des personnes intersexes sont mutilées dès leur naissance afin qu’elles puissent être assignées à leur sexe propre. Quand les caractéristiques « intersexes » de la personne apparaissent plus tard dans la vie de l’individu (parce que des fois certains aspects ne sont pas remarquables dès la naissance) alors on va parler à la personne intersexe de pathologie ou d’anomalie, et lui faire suivre un traitement ou bien l’opérer. On parle alors de mutilation parce que les traitements ou opérations soumises aux intersexes ne sont pas nécessaires, étant donné qu’il n’y a aucun danger pour la vie de la personne et en plus, il n’y a pas de véritable consentement ou du moins de consentement « éclairé » puisque les informations données par les médecins sont incomplètes et exposent les choses seulement comme un problème à éradiquer. En plus au final ce sont les opérations qui sont très lourdes, et qui sont la cause de véritables problèmes comme par exemple la vaginoplastie qui entraine des sténoses vaginale (rétrécissement du vagin) qui ont besoin d’être réopérées par la suite.

Il y a donc une réelle nécessité de se réapproprier son corps, de le faire valoir dans une société qui tente de l’invisibiliser et tarde à le reconnaitre. C’est pourquoi de plus en plus de personnes intersexes mais cela vaut également pour le reste de la communauté LGBTQIA+ témoignent et se battent pour normaliser ce qui est encore considéré comme étant une « infirmité » ou un problème à corriger. Pour ce faire, la communauté LGBTQIA+ s’impose au cours de marches comme les « pride » ou « marches des fiertés » qui ont lieu tous les ans par exemple. Il y a également la journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie qui a lieu tous les 17 mai et qui vise à coordonner les actions de sensibilisation aux violations des droits des LGBTQIA+ à travers le monde.


Le militantisme queer : genderfuck, camp et drag

Un autre exemple de la lutte pour le corps est le militantisme queer et la manière dont il permet une expression du corps libre, libéré des normes de genre. Pour ce faire, on va aborder le genderfuck, que vous connaissez sans le savoir et nous allons également évoquer le camp et le militantisme d’ActUp et des sœurs de la perpétuelle indulgence. 

Le genderfuck ou genderbend signifie en traduction directe “nique ton genre” ou “tend ton genre”, dans le sens de tordre. Il invite à la distorsion et au détournement des normes du genre. Dans le cadre général de la théorie queer, le genderfuck utilise les normes du genre qui s’appliquent au individus et les détourne avec des expressions de genre non conventionnelles comme le drag, le travestissement ou encore l’androgynie intentionnelle.

Le genderfuck peut avoir un but militant mais il ne l’est pas nécessairement, cela dépend de la volonté des individus qui le pratique. Ainsi alors que certains se reconnaissent dedans et y retrouvent une identité qui leur correspond d’autre s’identifient en tant que genderfuck dans un but artistique ou militant, notamment du rejet de l’intolérance, des rôles oppressifs, des politiques identitaires, de la binarité de genre ou de l’essentialisme de genre.  Si le genderfuck peut être politique c’est par la critique du genre comme moyen de pouvoir qu’il fait en l’incorpore dans sa performance, dans son jeu avec les signifiants du genre.

En ce qui concerne le camp, c’est une notion compliquée à définir. Le camp est à la fois selon wikipédia, un style, une forme d’expression et un regard. Le terme de camp en lui-même est intraduisible en français parce qu’il renvoie à une réalité du monde anglo-saxon et qu’il n’est pas très présent en France. Il vient de la sous-culture gay masculine et il permettait aux hommes gays de se reconnaître entre eux, d’interagir tout en gardant une couverture d’hétérosexuels dans une société oppressive. Si je voulais vous parler du camp c’est parce que d’après Le sexe du militantisme l’homosexuel camp signifie, par ses performances, qu’il ne ressemble pas à ses oppresseurs, mais rend visible la manière dont ces derniers le définissent. 

Le camp se manifeste dans le militantisme, notamment chez Act Up et Les Soeurs de la perpétuelle indulgence. En effet ActUp utilise les normes de genre pour servir le militantisme :

“le stigmate de genre (est, quant à lui, rendu performatif, dans le sens où) et son expression s’adapte aux nécessités des actions : à certains moments l’adoption d’un style vestimentaire “paramilitaire”, pour les hommes comme pour les femmes, réalise une forme de travestissement, amplifiant l’impact des performances publiques. A d’autres moments au contraire, c’est l’efféminement qui est mis en scène, comme lors de la Gay Pride parisienne en 1992, ouverte par les Pomp-Pomp girls d’Act Up. p217

Le sexe du militantisme, sous le direction d’Olivier Fillieule et de Patricia Roux, page 217

Et enfin les Soeurs de la Perpétuelle Indulgence est une association de défense des droits des LGBT qui récolte des fonds qu’elle reverse à d’autres associations, notamment pour la lutte contre le VIH. Les Soeurs du Couvent de Paris ont formé les voeux suivants :

  • La promotion de la joie multiverselle
  • L’expiation de la honte et de la culpabilité stigmatisante
  • La paix et le dialogue entre communautés
  • La charité
  • L’information et la prévention du VIH et des IST
  • Le droit et le devoir de mémoire

Leurs messages expriment une critique de la hiérarchie des sexualités et de l’ordre du genre, notamment de la place des femmes dans les mobilisations collectives, homosexuelles ou de lutte contre le sida. Cette critique procède d’analyse à la fois féministes et queer et fait totalement partie de l’identité des soeurs. De plus, l’utilisation du drag, qui est une forme de genderfuck et peut être considéré comme une pratique militante place les soeurs de la perpétuelle indulgence dans une démarche, comme ActUp, de lutte pour le corps, pour la libération des normes de genre, mais aussi pour des enjeux de santé qui touchent au corps comme la lutte contre le VIH. 

Le corps militant est également un corps qui se place comme objet d’action du militantisme, comme outil de celui-ci. Cette thématique est plus largement développée dans le dernier article de notre série : Le corps militant, le corps comme objet d’action du militantisme (3/3)



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