ANNÉE 2060 : CONFINEMENT INFINI

Scénario
Dans un futur proche, en l’an 2090, la France entame sa 70ème année de confinement strict et imposé par l’État. Malgré la disparition du virus Covid-19, le pouvoir en place réussit à maintenir l’illusion d’un danger extérieur, pourtant inexistant. Les nouvelles générations ignorent le monde libre d’avant. Cette insouciance permet à l’État d’exercer un contrôle absolu sur la société, sans être confronté à une quelconque opposition. Coupée du monde extérieur, la population n’a appris à vivre qu’à travers les écrans, connectée à un réseau surveillé et limité aux frontières françaises.
Un groupe de jeunes hackers, rencontrés sur un jeu en ligne, parvient à contourner le réseau d’État. Ils y découvrent les archives conservées secrètement par le pouvoir. Livres, films, séries, manuels, articles, … apparaît alors sous leurs yeux le pan d’un autre monde, le monde d’avant la pandémie.
À la suite de plusieurs jours de recherches, de lecture et de visionnage, ils sélectionnent un nombre d’œuvres destinées à une publication auprès du reste de la population. Portés par la colère, l’indignation et la volonté de changement, ils espèrent éclairer les consciences et engager une lutte révolutionnaire.
Le corps négligé
Face à ce confinement éternel, la population apprend à vivre petit à petit dans un monde coupé de tout, dans lequel les contacts humains se font rares, voire inexistants. Les habitant.e.s se confinent dans leurs appartements, leurs maisons. La plupart d’entre eux fuient les villes vers des environnements plus ruraux, à la recherche d’une certaine solitude, d’une certaine tranquillité. La mondialisation décroît fortement, de même que les échanges commerciaux. L’agriculture ouvrière, quant à elle, se développe de manière conséquente. De plus, une diminution de la pollution due à la baisse des trafics routiers et des émissions des usines, entre autres, va être observée. Le contact à la nature proche, à son jardin va s’accroître, à l’inverse de la découverte de nouveaux milieux naturels puisque les voyages sont impossibles, de même que les balades en nature.
Concernant, la vie dans son lieu de confinement, certaines personnes vont vivre entourées de leur famille, avec des amis, alors que d’autres vivent un confinement totalement solitaire. La question de la mort se pose donc ici : vais-je mourir seul.e ou accompagné.e ? Cette solitude fait disparaître par ailleurs tout esprit de solidarité et de fraternité. Une réelle peur de l’autre s’installe progressivement dans les consciences.
Dans cette société surveillée, l’indifférence est le maître mot. Indifférence quant à la situation sanitaire, quant au totalitarisme de l’État. Indifférence quant aux maux, quant à sa propre santé mentale, se dégradant de jour en jour à cause de l’angoisse et de la peur alimentées par l’État Français.
Les habitant.e.s vont également être incité.e.s à venir se soigner dans des centres de soins spécialisés dans le traitement de leur santé mentale. C’est ici une manière d’enfermer le peuple sans qu’il ne s’en rende compte faisant augmenter constamment l’impression de cercle vicieux puisque l’accentuation de la peur, de la maladie aggrave la santé mentale de tous.t.es et la venue dans les centres de soins accentue l’enfermement de la population déjà omniprésent dans la vie quotidienne. Les personnes souffrant de maladie vont donc voir cette dernière s’aggraver encore et toujours, un peu plus encore.
Certains habitant.e.s, las de la situation, perdent la volonté de se soigner, de consulter, de demander de l’aide. Face à la situation globale du pays, le corps en bonne santé n’est désormais plus nécessaire. Le rapport au corps dématérialisée s’accentue, aussi bien que les consultations à distance, le développement de l’auto diagnostic et de l’automédication.

Somathèque :
- Walden ou la vie dans les bois, Henry David Thoreau, 1854
- Almanach d’un comté des sables, Aldo Leopold, 1949
- De si violentes fatigues, Romain Huet, 2021
Comment se réconcilier avec son corps ?
Alors que les français.e.s perdent contrôle de leur corps et de leur conscience, la possibilité d’une ré-appropriation de soi semble inconcevable. Inconcevable, mais pas impossible. Comment retrouver un rapport bienveillant et sain avec son corps ? Comment préserver sa santé mentale, à l’heure où les pensées et les humeurs sont contrôlées et prédéterminées ? Le groupe de jeunes hackers semble avoir un début de réponse à ses questions grâce aux œuvres qu’ils ont découvert.
Le corps est l’unique lieu de vie qui abrite l’esprit jusqu’à son extinction. Il faut en prendre soin, le maintenir en forme et le protéger. La première clé pourrait être l’alimentation. Or, dans un monde où les échanges commerciaux sont très restreints, il est bien difficile d’optimiser sa consommation. C’est pourquoi développer des techniques d’auto-suffisance paraît être une bonne alternative. En apprenant à produire leur alimentation, les français pourraient retrouver l’intérêt de faire vivre leur corps.
Encore faut-il réapprendre à s’en servir, de manière à quitter l’état de servitude dans lequel la population est plongée depuis des décennies. Des ouvrages sont nécessaires à l’éveil des consciences. Il est temps de créer un système de solidarité, pour venir en aide à ceux qui ont intégré un état de dépression et autre trouble de la santé mentale. L’enjeu pour ces jeunes hackers alertés est de faire réaliser et accepter à la population que l’accès au soin pour tous doit être rétabli. Négliger son bien-être psychologique n’aidera en rien à faire changer le système.
Somathèque :
- Prendre soin de la vie, de soi, des autres et de la nature, ouvrage collectif, 2019
- Le grand guide marabout de l’auto-suffisance, John Seymour, 2019
Le Corps solitaire

Privé.e.s de tout contact physique avec le monde extérieur et faisant objet d’une surveillance accrue par le pouvoir autoritaire, les confiné.e.s ont perdu leurs passions, leurs motivations, leur libido et leurs engagements. L’amour, la haine, la jalousie, l’excitation … plus rien ne les anime.
Le manque de rencontres a marqué une baisse importante des mariages et de la natalité, mais à, en revanche, causé une augmentation des divorces. Vivant pour la plupart seul.e.s, les confiné.e.s se retrouvent privé.e.s du regard de l’autre, au point de négliger leur propre corps. Ne sachant plus se situer sur l’échelle sociale car n’ayant plus d’éléments de comparaison, ils et elles ignorent les inégalités de classe et leurs différences, pourtant bien présentes. L’individualité et la singularité de chacun.e s’efface devant l’immensité du néant.
Le seul contact social se maintient à travers les chatrooms écrits, connectés au réseau du pouvoir étatique, où chaque mot et chaque conversation est soigneusement scruté par un algorithme.
Somathèque :
Comment ré-apprendre à vivre avec l’autre ?
Encore une fois, la culture pourrait sortir le peuple français de son inactivité et de son déni pour la société. L’enjeu est de reconnecter entre eux, les femmes et les hommes d’un monde endormi. Ainsi, des œuvres mettant en lumière à la fois la beauté et la complexité des relations entre humains serait l’idéal pour réveiller les passions des uns et des autres.
Toute émotion est bonne à prendre. Provoquer un amusement, un étonnement, une colère ou une peine serait un début de victoire. Il s’agit de redonner envie aux français de créer des liens, de sortir de leur solitude accablante et de s’ouvrir aux joies des relations entre humains.
Somathèque :
Le Corps soumis à l’État
Dans ce monde de confinement infini, le gouvernement est devenu un régime autoritaire. Le confinement imposé depuis tant d’années permet au pouvoir d’exercer un contrôle sur la population. Les ordres sont dictés par la peur et la menace, il est impossible pour les individus de se révolter. D’ailleurs pourquoi se révolter s’ils ne connaissent même pas l’existence antérieure d’un monde plus libre et sans virus ?
Le gouvernement n’hésite pas à manipuler la population, sous forme de propagande scientifique qui insiste sur la nécessité de rester enfermé. La manipulation passe aussi par l’obstruction de la vérité et la réécriture de l’histoire. Le pouvoir n’hésite pas à réécrire le passé et à cacher certains événements pour que l’histoire soit cohérente avec son idéologie totalitaire. Ainsi se met en place une dictature de la pensée où la mémoire collective devient un instrument de manipulation. Le gouvernement souhaite contrôler la mémoire car, en tant que référence pour comparer le présent au passé, elle représente une menace. En effet, la mémoire est dangereuse pour la dictature. Le pouvoir crée ainsi sa propre vérité, prouvée par des documents falsifiés. Le gouvernement fait disparaître les personnes qui deviennent trop encombrantes en instaurant un système de surveillance. Cette surveillance généralisée digne du monde orwellien ne permet aucune vie privée, aucune liberté de mouvements, d’opinion et d’expression. Le corps, autant que l’esprit, appartient au régime. La population est épiée par des caméras à l’extérieur pour les dissuader de sortir mais aussi dans leur intimité car chaque appareil technologique est mis sur écoute. Chaque individu doit accepter d’avoir une intelligence artificielle qui rapporte tous ses faits et gestes. La liberté numérique est aussi très restreinte, ils sont fichés par une milice digitale et n’ont en aucun cas accès au monde extérieur.
Dans ce monde de confinement infini, le pouvoir se fait passer pour le sauveur du peuple en pleine pandémie cependant il ne sert en réalité que ses propres intérêts.
Somathèque :
Comment s’émanciper de l’État ?
L’essence du corps n’est pas de supporter un contexte d’isolement tel. Au contraire, il peut constituer une arme militante à part entière. Pour réveiller les mentalités et les aider à sortir d’un système qui les oppresse, des œuvres sur les révolutions engagées dans le passé sont très pertinentes. Pour apprendre à un peuple à se soulever, le réseau de l’Etat sera bien utile.
Les français, qui à une époque avaient l’indignation dans la peau, doivent à ce jour, tout reprendre à zéro. Comment se révolter ? Des ouvrages sur la confection de bombes, de fumigènes pourraient les aider. Mais par-dessus tout, il faut formuler des idées. Ce peuple doit savoir ce qu’il veut, et ce qu’il ne veut plus. Cet apprentissage passera notamment par les livres et les films qui mettaient en lumière les problématiques causées par le totalitarisme.